L’enfant regarda l’étal de pâtisseries sans savoir s’il pouvait s’en approcher. Cela se faisait-il ? Il jeta un coup d’œil à son oncle : celui-ci avait la tête plongée dans un journal et le reste du corps arrimé à un banc au plus profond du parc.
Tous les deux, Paul, et son neveu Hector, étaient partis après déjeuner, ce fameux jour.
Quelques heures plus tôt, lorsque Paul était arrivé, le petit Hector avait hésité. Une hésitation comme une joie tempérée par un bémol, un avatar glissé dans la cage du souffleur. Un grand tour avait juré maman ! Presqu’un événement ! Tout relatif, en fait. Hector aimait bien son oncle, mais rien de sensationnel ne s’était jamais produit avec lui. Tout était posé. Paul, lui, était très attaché à ce petit. Il pouvait s’impliquer avec une réelle sincérité comme il disait, mais force était de constater que sa générosité était fixée sur le rythme des aiguilles de sa montre. A telle heure on descend, à telle heure on joue, à telle heure on goûte et à l’heure dite on remonte.
Zou mon Hector, en forme pour dézinguer la balançoire ? Paul l’embrassa. Hector prit son petit vélo, un revolver, deux rouleaux de cartouches, trois BD et confia son ballon à son oncle. Après les conversations des adultes, il recueillit de papa deux pains au chocolat avant de s’engouffrer dans l’ascenseur avec Paul. Je te montrerai mon album du capitaine Biceps ! –Bien sûr ! Une main brossant ses cheveux doux comme les feuilles. Hector fit un large sourire. Même si cela faisait longtemps qu’il ne jouait plus à la balançoire.
Le grand parc n’était pas très loin de l’appartement des parents d’Hector. Un samedi pareil, il devait y avoir déjà beaucoup d’enfants, non ? Oh oui probablement, mais c’est le début des vacances. Hector se dit que ses copains Max et David étaient déjà sur la route vers la mer.
Ils débouchèrent dans le parc. L’enfant, lâchant la main de son oncle, tapa dans son ballon et se mit à courir droit devant lui comme si le sort de la planète dépendait de sa course. Issue heureuse, il récupéra la balle après un ultime rebond qui aurait pu le tromper. Bravo ! Bravo s’exclama Paul, heureux, ravi, comme rarement on ne l’avait vu. Ça c’est du sport, allez on y va !
Ils posèrent leurs affaires sur l’un des derniers bancs libres, un peu en retrait, et se mirent à jouer au foot. A deux ce sport est un peu juste, mais on s’en fiche, l’essentiel est de sentir la balle, de la passer, l’expédier, de tirer dedans. Ils jouèrent longtemps et s’arrêtèrent autant par fatigue que par un désaccord radical sur la désignation du vainqueur.
Après leur partie, ils déambulèrent. L’après-midi était lumineux. Bientôt l’éclat du soleil sur le haut d’un grand peuplier signifia la pause de quatre heures. Pour accompagner les pains au chocolat, Paul acheta deux petites bouteilles et fit boire à son neveu un jus fruité qu’il ne connaissait pas. Hector ressentit une amertume, ralentit le débit, puis, avant d’être dégouté, posa le flacon sur le bord du banc. Bon, se dit Paul, encore une connerie de ma part.
Il voulut redresser la situation par une échappée gourmande. Facile. Quelle barbe à papa veux-tu ? Rose ou blanche ? Bleue proclama l’enfant ! Hector se mit à dévaler une pente sur son vélo, en explosant de rires comme s’il allait s’envoler vers ce ciel si bleu et ces nuages si blancs, tellement veloutés qu’on pouvait rêver que de petits lutins s’y étaient accrochés pour contempler le spectacle. Vu du ciel, le souffleur avait disparu de sa cache.
C’est ainsi, alors que sur son banc Paul s’était mis à lire son journal, qu’il vit son neveu essoufflé regarder les derniers oiseaux de l’après-midi. Proches du départ, ils se rassemblèrent en fronçant leurs becs. Hector se rapprocha de la roulotte du pâtissier. Des rondes de gâteaux multicolores, éclatants de grains au chocolat. Des gâteaux frais, vernis, avec de la crème chantilly. Et Hector l’œil vif mais hésitant. Maman l’aurait-elle autorisé ? Finalement, après avoir replié son journal, Paul lui acheta une pâtisserie. Et c’est alors que tout commença. Oui, on peut dire cela. Tout s’enclencha lorsqu’un énorme chien fit à cet instant son apparition devant l’enfant. La bête avait fait longuement le tour du buisson et guetté la scène. Le molosse se mit à pousser comme un râle devant Hector. A peine eurent-ils le temps d’échanger un regard que le chien bondit. Montrant ses crocs et entrebâillant sa mâchoire baveuse, il grimpa sur les genoux du petit en laissant fuir une haleine répugnante.
– Vite ! Barrons-nous ! S’exclama l’oncle. Ce con veut bouffer notre gâteau. Sous la houlette de Paul, les deux complices coururent le long du grillage. Paul entraîna son neveu dans les profondeurs d’un petit bosquet. Dans ce qui leur servait de refuge, une fois débarrassés de ce clébard, ils mangèrent le bon gâteau. Pas mal lui dit Hector.
Oui mais autour d’eux il y en avait des branches et des branchages, des amas de feuilles et des mottes de terres saumâtres. Et ils étaient bien sombres ces terriers. Non on ne pouvait pas très bien respirer. Et le chien qui tournait autour de la rangée de buissons. On l’entendait plus qu’on ne le voyait. Alors ce qui avait débuté comme une mauvaise farce devint un problème. Cela ne va pas, se dit Paul, ce chien est gros, où est son maître ? J’aimerais qu’un maître l’attende quelque part ! Il dit à Hector : je sais ce que nous allons faire : nous patientons. Hector le regarda, à demi rassuré.
Ils attendirent.
Paul manifesta alors un puissant intérêt pour les albums du capitaine Biceps, relançant inlassablement son neveu sur ses épopées. Puis, à un certain moment, alors que la chaleur passa la main à une douce fraicheur, il était clair que le maxi-chien avait disparu. Plus de bruits, zéro mouvement. Ouf ! Ils sortirent de leur repaire, et Paul mit quelques instants à comprendre.
Le parc était désert, vide, sombre. Plus personne ne déambulait là-dedans. Paul se dirigea vers la bicoque du gardien : cadenassée et aucune ombre particulière à l’intérieur. On était enfermé.
Il n’y avait en effet plus aucun mouvement du tout, et l’obscurité gagnait du terrain par saccades sombres et épaisses. Tranches de noir régulières et sabrées. Paul se piquait toujours d’être calme quand les choses allaient mal, même très mal. Il regarda, les grilles étaient hautes, trop hautes pour un enfant. Et aucun trou dans le grillage, aucune percée dans le barreaudage. Et bien sûr il n’avait pas pris son téléphone portable. Une seule voie donc : le contournement aérien !
« En route pour le contournement aérien ! » proclama-t-il avec une fausse solennité appuyée, avec l’ambition de faire sourire son neveu.
Sur un vieil arbre au tronc épais, il remarqua une branche, large, et qui avait la forme d’un arc-de-cercle surplombant les grilles. En l’empruntant, on pouvait passer de l’autre côté comme sur un pont suspendu. Il empoigna Hector avant d’amorcer l’escalade. Allez on monte. Tu as déjà déchiré ton pantalon observa l’enfant.
Quelques mètres plus loin, Paul le mit sur son dos et, en rampant, gagna l’extrémité. Se laissant glisser vers le bord extérieur, il acheva de zébrer ses habits. Merde et merde ! Il se laissa tomber avant de recueillir l’enfant. C’était pas si difficile, murmura Hector.
Enfin du bon côté de ce parc à la noix, Paul ne savait pourtant pas du tout où ils se trouvaient. C’était devenu la nuit. Une nuit marbrée. Une cour, des bâtiments éteints qui avaient vécu, quelques flaques noirâtres, le reste d’un local-poubelle mais pas même un mégot par terre. La main dans la main, ils traversèrent à pas de loup une sorte de corridor aux arrêtes d’une profonde tristesse.
J’ai un peu soif se dit Hector.
Tout cela me fait chier songea Paul.
Il monta sur un plot, longea un parapet en vue d’un petit panneau métallique vert-bouteille. Il parvint à s’en approcher pour lire son inscription : « Chambre Funéraire ».
L’Hôpital ! Mais c’est bien sûr ! La chambre mortuaire, la morgue, l’amphithéâtre ! S’esclaffa Paul. OK, j’y suis, nous sommes complétement à l’opposé de l’entrée principale. C’est bon mon petit Hector, c’est l’hôpital Sainte Camille qui borde le parc.
Pourtant, là encore, il y avait toujours un problème. Cette chambre pour morts ne communiquait pas avec le reste du bâti. Elle était elle-même dans une enceinte. Des murs hauts, une grille impressionnante, un enclos.
Il faut trouver la sortie, il faut rencontrer quelqu’un se dit rapidement Paul. Il ne voyait pas pour l’instant comment concrètement sortir. En général, ce n’est pas compliqué, sortir, mais là ? La sueur commença à perler sur son front.
L’enfant prit alors son petit pistolet, le chargea de ses munitions de papier mêlé de poudre, et tira plusieurs fois en l’air. Une lumière fit son apparition derrière un carreau.
Juin 2010
Ecrire un commentaire