Il n’avait connu que des coups de foudre. Que des fulgurances parmi la nuit, le jour, et les débuts sur le pas des portes. Toujours un sourire éclatant de vérité, la courbe d’un escalier et la finesse d’une ombre. La promesse de l’autre. Paul était ainsi : il ne vivait que les amorces de l’amour. Il y croyait pourtant, sans doute. A chaque fois, c’était l’espoir, la perspective. Il était réellement amoureux des femmes qu’il voyait. Non qu’elles aient été nombreuses du reste, il n’était pas coureur, juste un peu léger, entre deux mers. Et grisé. Paul était ainsi : à chaque fois, pour chaque femme aimée, le coup de foudre fonctionnait : c’était étrange. Et aussi un peu de mal au cœur. Paul était Professeur à Sciences Po Paris. Il en était ravi. Surtout quand il voyait tant de jolies filles dans le hall, le grand amphi ou le petit jardin. A chaque fois qu’il avait aimé une femme, cela s’était fini. Oui, fini, achevé. Il avait pourtant été sincère, mais, non, cela n’aboutissait pas. Cela devenait triste et finissait gris puis noir. Et finalement sans poudre ni gras.
Pour lui, la vie avec une femme n’était donc qu’une rencontre possible, la joie d’un rire sec, la lumière d’un bleu souligné, le vif d’un éclat tracé, le rite d’un repas céleste et l’exercice d’un lit soyeux.
Et puis un jour, un matin, il peina. Avant, il était avec Catherine, Isabelle, Jeanne, Marie, Sylvie, etc., mais un matin, il s’inclina. Il n’y avait personne. Il eut une curieuse impression en pensant confusément qu’il avait besoin de quelqu’un, qu’il souhaitait sa compagnie, là, dans ce lit. Il étendit le bras. Toute la journée, il ressentit un manque. Ce même sentiment dura plusieurs jours. Il ne comprenait pas.
Il eut plaisir à converser avec une femme légèrement plus jeune, récemment nommée Maitre de Conférences. Il s’aperçut qu’elle était jolie, avec de l’esprit. Il l’avait déjà remarquée, une semaine ou deux auparavant. A une réunion d’enseignants, elle était entrée dans la salle par une simple phrase : « puis-je ? », avait-elle prononcée alors qu’elle pivotait sur elle-même, en rejoignant déjà l’assemblée. Ce « puis-je ? » trottait dans la tête de Paul. Son point d’interrogation n’était qu’une inclination ironique mais polie, il serpentait comme une invite. Paul l’entendait murmurer à ses oreilles.
Alors il comprit. C’était complétement nouveau pour lui. Il ne pouvait s’empêcher de penser à cette femme, Claude. Rien de brutal, rien de frontal, tout cela se faisait en douceur. Paul était désarçonné par cette situation. Comment faire ? Au cours d’une discussion lors d’une fin de journée entre enseignants, il entendit Claude dire à une collègue qu’elle adorait les sacs à main, africains en particulier. Ceux du Malawi étaient superbes.
Il ne fallut à Paul que deux jours pour prendre sa décision. Le mois suivant, il prit un billet pour le Malawi, pays qui n’avait jamais éveillé chez lui le moindre intérêt. Sur place, il descendit à l’hôtel Sun Bird, ce qui lui sembla de bon augure, bien entendu. Dès le lendemain, il se rua dans un marché et trouva un sac à main qu’il jugea digne de Claude. Le vendeur enroba précautionneusement les lanières qu’il convenait de fixer ensuite à la poche elle-même repliée dans un beau tissu. Attention aux voleurs lui dit le marchand, méfiez-vous des gens qui voient dans votre bourse…et votre cœur ! Paul mit les bandoulières à l’abri. Il passa deux jours au bord de la piscine de son hôtel, pensant à l’effet de surprise qu’allait provoquer son retour auprès de Claude avec un sac sublimement authentique.
En France, sur le trajet entre Roissy et son domicile parisien, il regardait nonchalamment le paysage sans grande vie. Des grands poteaux gris, des bandes au sol ternes et sales, des hauts d’immeubles blanchâtres. Et soudain, l’explosion ! Ca y’est il l’avait son coup de foudre ! Il avait oublié dans sa chambre d’hôtel les lanières du sac. Il en était certain. Il fixa la nuque épaisse du chauffeur du taxi pour réfléchir, n’y parvint pas, eut envie de rebrousser le chemin, et y renonçât.
Du mois pour l’instant, car Paul, méthodique et résolu, et réellement amoureux de Claude se disait-il, décida de gagner à nouveau le Malawi. Un mois plus tard, il partit pour deux jours. Toujours au Sun Bird (le concierge luit fit un léger signe de la tête), il acheta au marché un nouveau sac, en en prenant bien soin. Il était du reste encore plus beau que le premier, une consolation. Devant la piscine, il songeait aux circonstances qui allaient lui permettre de réaliser le geste de ce cadeau, avec les conséquences qui allaient forcément suivre.
A Paris, Paul ne se pressa pas, mais il usa de son intelligence et de son charme pour « profiter » d’une soirée. C’était un cocktail, classique. A la dernière minute, il réalisa qu’il pouvait difficilement venir tout de go avec son sac à main. Ou alors dans un paquet cadeau. Oui, mais c’était malgré tout peu discret. Il décida de le laisser dans sa voiture et de créer la surprise le moment venu. Il vit Claude, avec le même ravissement. Il se rapprocha et remarqua qu’elle avait un nouveau sac à main. Ne se décourageant pas, au contraire, il s’avança et lui en fit compliment. Il ajouta en souriant : « Mais est-il aussi beau qu’un sac du Malawi ? ». Claude rit et lui dit qu’une amie, qui en avait récupéré un, lui avait certifié qu’il sentait si mauvais qu’elle avait dû le jeter au bout de 24 heures. Ces sacs du Malawi étaient une infection. En revanche, les colliers sont si troublants…Et elle reprit du champagne.
Paul eut beau renifler tout le week-end, il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire d’autre que repartir pour ce pays d’Afrique. Craignant, comme dans une publicité de la fin des années 70 pour une marque de pneus d’une automobile qui faisait plusieurs fois le tour de la terre à la surprise de ses conducteurs, qu’on allait le « reconnaitre, maintenant », il changea d’hôtel. Plus simple, sans piscine. Il prit le temps de fureter et de choisir avec componction un collier. Fin, cher. Ca y’était.
Après quelques semaines parisiennes, il usa de malice pour convaincre Claude d’accepter un dîner. Cela se fit sans mal en réalité. Il prépara minutieusement son cadeau, un peu fiévreusement. Il fit les choses bien, en retenant une table dans un bel établissement. Le restaurant était réputé. C’était la fin du printemps, et déjà les premières chaleurs. Elle arriva gaiement. Leur table était proche d’une fenêtre au joli cadre de bois ouvragé, avec des carreaux de couleurs. Il s’apprêtait à amorcer le geste et la phrase qu’il avait préparée pour lui donner le collier lorsqu’elle lui dit : « il fait un peu chaud, vous ne trouvez-pas ? ». Elle s’inclina, pris la poignée de la fenêtre, et commença à l’ouvrir tout en lui disant : « puis-je ? », et ses yeux éclatèrent de rire alors qu’elle continuait de se pencher vers lui.
Septembre 2013.
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